Harcèlement moral : Possibilité pour l'employeur de s'exonérer de sa responsabilité… sous conditions
Aux termes d'un arrêt du 1er juin 2016 (Cass. soc. 1er juin 2016, n°14-19.702), la Chambre sociale de la Cour de cassation a considérablement assoupli sa jurisprudence en matière d'obligation de sécurité de résultat, en offrant désormais la possibilité à l'employeur de s'exonérer -sous certaines conditions- de sa responsabilité, lorsqu'une situation de harcèlement moral est caractérisée.
Pour se faire, les juges exigent dorénavant que deux conditions cumulatives soient remplies par l'employeur :
- avoir mis en œuvre en amont, des actions d'information et de formation de nature à prévenir le harcèlement moral ;
- avoir immédiatement réagi pour faire cesser le harcèlement moral.
Si cette évolution de jurisprudence constitue une avancée significative pour les entreprises dont la condamnation était auparavant automatique nonobstant leurs éventuelles actions (I), il n'en demeure pas moins vrai qu'une réflexion devra être menée par ces dernières de façon à déterminer les mesures à mettre en œuvre pour éviter une condamnation (II).
I / Un assouplissement de la notion d'obligation de sécurité de résultat ouvrant une possibilité d'exonération de responsabilité au profit de l'employeur
S'inspirant des arrêts « Amiante » rendus le 28 février 2002 en matière de droit de la sécurité sociale, la Chambre sociale de la Cour de cassation faisait peser depuis 2006 sur le plan du droit du travail, une obligation de sécurité de résultat sur l'employeur, imposant à ce dernier d'empêcher la survenance d'agissements révélateurs d'un harcèlement moral (Cass. soc. 29 juin 2006, n°05-43.914).
Tout échec au respect de ces exigences, entrainait systématiquement une condamnation de l'employeur, nonobstant les mesures que ce dernier avait pu prendre soit en amont, pour prévenir la survenance du harcèlement moral, soit en aval, pour le faire cesser (Cass. soc. 3 février 2010, n°08-44.019 ; Cass. soc. 19 novembre 2014, n°13-17.729).
Les conséquences étaient d'autant plus préjudiciables que le salarié pouvait solliciter des dommages et intérêts au titre du harcèlement moral, mais était également fondé à prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur, ce qui lui permettait de réclamer en sus :
- une indemnité compensatrice de préavis ;
- une indemnité de licenciement (légale ou conventionnelle) ;
- des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Une telle approche, jugée injuste et contre-productive par les entreprises qui ne pouvaient échapper à une condamnation dès lors qu'un harcèlement était caractérisé -peu important les mesures préventives qu'elles avaient initiées-, était régulièrement critiquée.
Fin 2015, un arrêt (Cass. soc. 25 novembre 2015, n°14-24.444) -aux termes duquel la Haute Cour avait admis pour la première fois, que l'employeur était susceptible de s'exonérer de sa responsabilité en cas d'atteinte à la santé du salarié -en l'espèce syndrome anxio-dépressif- en invoquant avoir pris les mesures préventives nécessaires et adaptées- avait laissé supposer une volonté de la Chambre sociale de la Cour de cassation d'assouplir les règles applicables en matière d'obligation de sécurité de résultat -y compris en matière de harcèlement moral-.
L'arrêt du 1er juin 2016 précité, le confirme expressément en posant le principe que : « ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ».
II / Une exonération de responsabilité seulement possible en présence d'une démarche pro-active de l'employeur induisant l'adoption de mesures concrètes en amont et en aval des agissements de harcèlement
Dorénavant, l'employeur pourra s'exonérer de sa responsabilité, s'il s'avère capable de démontrer avoir rempli les deux conditions cumulatives suivantes :
- avant la survenance des agissements de harcèlement moral, avoir diligenté des actions d'information et de formation -prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail- de nature à les prévenir ;
- après la survenance des agissements de harcèlement moral, avoir immédiatement pris les mesures nécessaires pour les faire cesser.
En d'autres termes, pour espérer échapper à une condamnation, il appartiendra à l'entreprise de justifier de la mise en œuvre de mesures concrètes tant avant qu'après le signalement des agissements de harcèlement moral.
Si la seconde condition consistant à faire cesser les agissements ne devrait pas poser de difficulté particulière -les entreprises ayant le plus souvent déjà pris l'habitude en pareilles circonstances, d'organiser une enquête contradictoire (en y associant lorsqu'il existe le CHSCT), des réunions de médiation, un changement de responsable ou de lieu de travail en accord avec le salarié harcelé, ou la mutation du harceleur…-, le respect de la première condition touchant aux actions de prévention apparait plus délicate et nécessitera en tout état de cause qu'une réflexion soit menée en interne.
On relèvera d'ailleurs à cet égard que si dans l'arrêt du 1er juin 2016, la Cour de cassation a retenu un infléchissement de sa Jurisprudence antérieure en admettant sur le plan des principes la possibilité d'une exonération de responsabilité de l'employeur, elle a censuré dans le même temps l'arrêt de la Cour d'appel de Douai -qui avait refusé d'imputer le harcèlement moral à l'employeur-, en soulignant qu'aucune action d'information et de prévention n'était justifiée en l'espèce.
En conclusion, il apparait indispensable pour l'employeur de dresser un bilan des actions d'information et de prévention d'ores et déjà en place et le cas échéant de les compléter (par exemple : remise contre décharge au personnel encadrant des salariés, une liste des comportements à prohiber), dans un contexte où il ne fait aucun doute que plus l'effectif de l'entreprise sera important, plus les juges risquent d'être exigeants.
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